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DU LIT DES PRINCES À LA FOSSE COMMUNE

DU LIT DES PRINCES À LA FOSSE COMMUNE

LES AVENTURES DE L’AS DE PIQUE

Cette belle bourguignonne naquit à Auxonne vers 1760. Cinquième fille d’un père « gabelou », Catherine Thévenin, tel était son nom d’honnête fille, vivait dans sa famille et nous ignorons ce qui lui fit gagner Paris vers sa dix-septième année. Sans doute quelque voyageur rencontré chez son père lui avait-il conté les merveilles de la capitale. Toujours est-il que c’est le plus vieux métier du monde qui nous la fait connaître. Elle figure en effet sous les registres du commissaire Marais chargé de la surveillance de ces dames et des filles légères. Elle y apparait aussi comme la maitresse en titre d’un prévôt de la maréchaussée, ce qui lui donne déjà un statut et une protection, sous le nom de Melle Dufrenoy.

19 ans et danseuse à l’Opéra 

Peu après, vers 1779, nous la retrouvons « danseuse surnuméraire » à l’Opéra, ce qui était pour une professionnelle une petite fortune. C’est à ce titre qu’elle est « présentée » au maréchal de Richelieu auquel ses quatre-vingt ans n’interdisent pas les succès féminins. Cet arrière-neveu du grand cardinal était déjà un héros national depuis qu’il avait pris d’assaut une forteresse anglaise : la ville de Port-Mahon, capitale de Minorque, aux îles Baléares.

C’est ainsi qu’il avait rendu célèbre une sauce d’un grand cuisinier parisien lui avait dédiée sous le nom de « mahonaise ». Celle-ci est toujours dans nos assiettes sous le nom de mayonnaise. C’est dire qu’il était convoité comme protecteur attitré par les dames et que celle-ci lui étant acquise, elle devint « furieusement » à la mode. Elle y gagna une véritable cour qui lui apportait à travers ses admirateurs un lointain parfum de Versailles. Ce statut ne l’engageait à aucune fidélité, si bien que le comte d’Artois, frère du roi ne put faire autrement que de paraitre à ses dîners, où Brillat-Savarin, arbitre de la cuisine sous Louis XVI, signa quelques chefs d’œuvre culinaires.

On la vit aussi dans tous les lieux à la mode de l’ancien Régime finissant, celui dont Talleyrand (autre survivant de la Révolution) disait que celui qui ne l’a pas connu ignore ce qu’est la douceur de vivre.

Catherine Thévenin fut une des étoiles de cette période fugitive du bord du gouffre.

Une vie de courtisane

On la vit traverser Paris dans un carrosse à six chevaux blancs. Cet équipage réservé à la reine fit scandale sur les badauds du Palais Royal. On la vit aussi aux séances de magie de Mesmer et de Cagliostro.

Une pareille vague de succès n’allait pas sans quelques jalousies, et l’As de pique (c’était son nom de galanterie) en provoqua de nombreuses. Un pareil personnage eut dû, normalement, sombrer dans l’énorme vague de la Révolution qui submergea la société tout entière. Et pourtant, là où de très nombreuses courtisanes avaient sombré, elle passa à travers les pires traverses de notre histoire sans trembler ni frémir.

On la vit aux fêtes païennes de Robespierre avec la déesse Raison, à Notre Dame. On la vit aux festins de Mirabeau, à ceux de Barras. Elle traversa la Terreur et le Directoire, sans même perdre la fortune qu’elle avait amassée, et sans être le moins du monde inquiétée.

Du luxe à la fosse commune

Avec le Consulat et l’Empire, elle perdit sa clientèle et, encore belle, prit une retraite sage à Fontainebleau. On assure même que vers 1828, alors qu’elle avait depuis longtemps l’âge canonique, son ancien soupirant, le roi Charles X, chassant dans la région, se souvint encore de « l’As de pique » qui avait enchanté sa jeunesse, et lui rendit visite, au grand ébahissement des bellifontains, ses voisins de Fontainebleau.

Elle était vieille, seule, sans héritier. Ses meubles furent vendus aux enchères par de lointains cousins bourguignons qui ne songèrent même pas à lui offrir une concession au cimetière. Aussi, l’As de pique, qui avait fait les beaux jours de maints grands seigneurs, fut jetée à la fosse commune.

Sic transit gloria mundi.

(ainsi finit la gloire du monde)

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