Enfin Brillat-Savarin parut ; il faut bien toujours en venir à lui. Sa mission bienfaisante eut pour effet de rétablir l’ordre dans le grand désarroi de la table. Son délicieux livre apprit au monde que l’art est l’ennemi de la confusion, que l’ordre et la clarté sont les premières conditions de toute œuvre faite pour plaire, et qu’un bon repas ne se mesure pas à la quantité des plats, mais à leur finesse; il promulgua que c’est une hérésie condamnable de présenter aux convives des viandes pêle-mêle, sans sélection ni progression; que la conduite d’un dîner n’est pas sans rapport avec l’audition d’une gamme où chaque note appelle la suivante et dont l’oreille est choquée si l’exécutant commet la moindre faute d’harmonie, et il formula cette règle indiscutable en un génial aphorisme : —
« Dans tout repas l’ordre des mets doit être du plus substantiel au plus léger, et l’ordre des vins du plus léger au plus capiteux », chose dont Louis XIV lui-même, tout grand roi qu’il fût, ne s’était jamais douté. Il réhabilita encore la cuisine simple.
Lui-même, tout bourrelé qu’il était de souvenirs de plats savants et enchanteurs, hanté de rêves où passaient les ailerons de gelinottes à la purée d’avelines ou des timbales de langues de carpes au coulis d’écrevisses, lui-même dînait le plus souvent d’un bol de bouillon et d’une tranche de bœuf froid… Mais quel bouillon, et quelle viande ! Il inventa l’omelette au thon, les œufs au jus, la fondue, décréta en des termes impérissables les conditions de la cuisson du poisson et des viandes rôties ; il préconisa le chocolat, vanta les délices des légumes, toujours absents des menus d’autrefois, chanta la salade, célébra l’asperge et fixa pour jamais la Théorie de la friture. Bref, un bienfaiteur de l’humanité !