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LA SUISSE NID D’ESPIONS ?

LA SUISSE NID D’ESPIONS ?

HISTOIRE DU RÉSEAU « DORA »

LES SOVIÉTIQUES À GENÈVE

 

Un petit juif hongrois nommé Sandor Rado

Le 30 janvier 1933, le vieux maréchal Paul von Beneckendorff und von Hindenburg se décida enfin à appeler le nommé Adolf Hitler chef du parti N.S.D.A.P. (nazi) à la Chancellerie. Ce n’était pas qu’il en eût grande envie, mais le moyen de faire autrement ? Il avait usé tant de chanceliers depuis huit ans qu’il avait été élu à la présidence du Reich… le malheureux peuple allemand l’avait appelé à une époque où la situation intérieure était à ce point détériorée que l’on se demandait s’il y aurait encore une Allemagne le lendemain. Du fond du désespoir, le peuple fait toujours appel aux vieux chefs de guerre. Surtout à celui-là qui, bien que vaincu, apparaissait toujours couvert de lauriers. Hindenburg céda aux adjurations de Von Papen, un homme qu’il aimait bien parce qu’il avait porté, comme lui, le casque à pointe.

Cet espèce de fou qui galvanisait les foules

Mais appeler Hitler au pouvoir… lui, qui n’avait jamais été que caporal… Malheureusement, la décomposition du Reich était, en ce début d’année 1933, peut-être encore plus terrible qu’en 1925. C’est-à-dire encore une fois, aux portes de la faillite. Alors, pourquoi ne pas faire appel à cet espèce de fou qui galvanisait les foules et les faisait défiler dans les avenues au pas de l’oie, comme au bon vieux temps ? Hindenburg avait alors ses quatre-vingt-six ans bien sonnés, des moments de lucidité, et une encore belle allure sur le front des troupes. Mais cela ne suffisait pas à enrayer la plaie galopante du chômage. On lui serinait cela depuis pas mal de mois. « On », c’était non seulement Papen, mais aussi son propre fils, et les industriels de la Ruhr, et les pontifes du gros commerce. Eh bien, soit !! Il mettrait Hitler à la Chancellerie. Un de plus. Peut-être cet illuminé arriverait-il à quelque chose…

Il le convoqua. Pour la circonstance, l’illuminé qui trainait derrière lui quelques centaines de milliers de fanatiques avait revêtu un habit de cérémonie, troqué la chemise brune contre une blanche empesée, noué le nœud papillon immaculé et coiffé le chapeau haut de forme. Mais, comme la température était peu clémente à Berlin, il avait passé, par-dessus le frac, un imperméable mastic. La mèche barrant le front, il affronta la meute des photographes qui, pour l’Histoire – hélas ! – fixèrent son image falote sur la plaque sensible.

Il était temps de boucler ses valises

A vrai dire, Adolf Hitler avait beaucoup plus l’air d’un pantin que d’un chancelier du Reich. La photographie parut à la « une » de tous les journaux sous des titres percutants.

Et c’est ainsi que Sandor Rado, petit juif hongrois de Berlin, vit la photo, lut l’article, et estima fort justement qu’il était temps de boucler ses valises. Et de quitter Berlin. Il envoya ses gosses en Hongrie, sa femme en Autriche et prit incontinent le train… pour Paris, évidemment, la ville la plus accueillante du monde pour toutes les victimes, présentes ou potentielles, des régimes dictatoriaux qui avaient une fâcheuse tendance à proliférer en Europe.

Or, Sandor – Alexandre, si l’on préfère – était petit juif Hongrois comme l’on est petit Auvergnat ou petit Breton, et personne n’a rien à y voir. Seulement, les gens d’Hitler n’aimaient pas, mais pas du tout les juifs, grands ou petits, quelle que fût leur origine. Et la montée au pouvoir du chef ne laissait rien présager de bon pour ceux qui fréquentaient les synagogues. Mieux valait donc – si l’on n’appartenait pas à la race des seigneurs – mettre le plus grand nombre de kilomètres possibles entre soi et les nazis.

Une vie tranquille à Berlin

Ainsi faisait Rado. Non sans regrets d’ailleurs, car, en somme, il menait à Berlin une vie tranquille : si ce n’est qu’il adhérait au parti communiste et que sa femme travaillait au Bureau Central Agitation et Propagande de l’URSS, ce qui n’arrangeait rien. Pour quelle raison était-il venu se fixer à Berlin ? D’abord, pour donner libre cours à sa passion qui était de « faire de la géographie », ensuite et surtout parce qu’il était plus ou moins un agent de renseignements au service de l’URSS. Sous le couvert de la géographie, car il était un excellent cartographe, il observait… Son rêve avait toujours été de publier un grand atlas. Il y était parvenu, mais après quelques aventures.

Une existence qui n’était pas de tout repos

Rado était né au sein d’une famille déjà nombreuse, dans la banlieue nord de Budapest, à Ujpest. Le père avait essayé de gagner l’Amérique, avait dû y renoncer, un oncle s’était engagé dans la Légion, à Sidi-bel-Abbès, puis avait déserté. Un autre oncle était chef de gare. Toute cette famille avait payé un lourd tribut à la guerre de 1914/1918.

Révolutionnaire avec Béla Kun

Mobilisé en 1918, Rado devint sous-lieutenant. Au mois de novembre, il adhéra au parti communiste et collabora à la révolution de Béla Kun qui terrorisa la Hongrie pendant trois ans en 1918. Elle s’acheva par une déroute et Rado, en août 1919, commença à voyager, la police à ses trousses. Il réussit à passer en Autriche où il fonda une petite agence d’informations, la Rosta. Avec quelques compagnons, il servait à des feuilles diverses des papiers dactylographiés donnant des nouvelles des pays communistes. En 1921, il fut invité à assister au Congrès de la IIIe Internationale, à Moscou. Le voyage fut « déprimant » ; Moscou était dans le dénuement avec des rations alimentaires quotidiennes de un hareng, un morceau de pain et dix cigarettes.

Subjugué par Lénine

Mais il vit Lénine, fut subjugué : il lui serra la main. Il fit aussi la connaissance de Tchitchérine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères. En 1922, il passa en Allemagne, et contracta mariage à Leipzig avec une certaine Hélène Jansen, qui déjà avait une assez longue expérience de la pratique des luttes politiques. C’était une petite ouvrière fille d’un commerçant très modeste. Avec sa sœur Gustel, elles avaient été deux des plus jeunes disciples de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg, les chefs spartakistes. Gustel s’était introduite auprès du social-démocrate allemand Karl Kautsky dont elle était devenue la secrétaire.

C’est par eux qu’elle devint, un peu plus tard, une chenille ouvrière du réseau Dora dont nous vous parlerons un prochain jour.

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